Un migrant bien implanté, 7 septembre 2023
Mardi 5 septembre au matin, nous partons pour la Lozère sur le Causse de Sauveterre aux alentours du Massegros. J’ai vu sur la base de données que trois Elanions blancs y avaient été aperçus le dimanche 3 septembre. Avec un peu de chance, nous les retrouverons peut-être…
L’Elanion blanc (Elanus caeruleus, Elanos veut dire milan en grec tardif et caeruleus vient du latin bleu en référence au gris bleuté de ses ailes) est un petit rapace au corps blanc, aux ailes grises et noires et avec des yeux rouges saisissants, encore faut-il les voir de près.
Arrivés sur place nous observons, un renard qui chasse au fond de la doline*, deux mâles de chevreuils broutant ensemble, un immature de Busard St Martin en chasse, dans le ciel deux Bondrées apivores en migration, un Circaète Jean le Blanc qui nous survole mais pas notre petit rapace escompté.
Un Vautour fauve se pose dans un champ, bizarre ! Au bout de quelques minutes d’autres Vautours fauves arrivent de partout pour se poser dans le même champ. Nous décidons d’aller voir. Nous y comptons 14 fauves, un moine et un Gypaète barbu qui survole la scène. Au sol nous ne voyons rien de spécial, la charogne devait être bien petite. Renseignement pris auprès de la LPO Grands Causses, le gypaète s’appelle Ophrys, c’est un mâle né en 2020 réintroduit sur le site du Trévezel (Nant, Aveyron). Le dimanche 3 septembre, il nous survolait au Point sublime de Saint-Georges de Lévéjac (Lozère).
Puis nous nous rendons à la doline de Lou Pariage qui attire souvent des oiseaux intéressants. Effectivement, nous ne mettons pas longtemps à « dénicher » deux Elanions blancs juvéniles posés dans le même arbuste. Je n’ai pas apporté d’appareil photo pour ne pas gâcher notre chance, je n’ai plus qu’à revenir. Au printemps, j’avais observé un élanion adulte à 2,5 km sur la même zone où un couple avait été observé par LPO 48. Il est possible que ces jeunes soient issus de ce couple.
Jeudi 7, je reviens vers la doline mais pas d’élanion. Des rapaces volent au loin, ce sont des Milans royaux. Je finis par voir l’élanion mais c’est très loin et je le perds. Une demi heure après, je le retrouve dans un autre secteur un peu plus près mais je le reperds de nouveau. Je finis par prendre une piste et aussitôt j’en fais décoller un d’un arbuste. Il revient à une centaine de mètres, c’est un juvénile. Cette fois j’ai l’appareil mais il est petit dans le viseur, je déclenche quand même.
Le temps de regarder les réglages de l’appareil, il est déjà loin. Puis ce sont deux busards cendrés que j’aperçois en arrière de la voiture. Il y a un jeune de l’année reconnaissable à son ventre roux et un mâle au plumage bizarre. En examinant les photos pas terribles avec le contre-jour, il est évident qu’il est en mue avec des grandes rémiges qui n’ont pas leur couleur définitive et la barre noire des ailes qui n’est pas continue. C’est un mâle dans sa deuxième année en plumage de transition.
Un rapace très clair arrive, j’ai juste le temps de faire quelques photos avant qu’il ne passe dans le soleil. C’est un Circaète Jean le Blanc. C’est un rapace qui se nourrit à 99,xx% de reptiles : serpents même de grande taille et lézards verts. Celui-ci est un oiseau de deuxième année reconnaissable à son plumage très clair usé : des grandes rémiges sont cassées, les rectrices de la queue n’ont pas toutes la même longueur et les rayures des rémiges secondaires ne sont barrées que finement, la gorge est blanche. Il faudra au moins cinq années pour qu’il atteigne un plumage définitif. Les jeunes de l’année ont un plumage parfait nécessaire pour une première migration au dessus de la mer en passant le détroit de Gibraltar.
Un autre circaète passe peu de temps après, lointain la photo n’est pas bonne mais on reconnaît un oiseau de deuxième année avec des plumes usées ou cassées et les rayures des rémiges secondaires sont presque invisibles.
Mais revenons à l’Elanion blanc. C’est un oiseau récent dans notre avifaune nicheuse. La première reproduction française certaine date de 1990 dans le département des Landes. Dans l’atlas de nidification des oiseaux de France métropolitaine de 2005-2012 la zone de nidification s’est considérablement étendue avec 107 indices de nidification plus particulièrement dans le Sud-Ouest.
Dix ans après les données de l’atlas 2005/2012, la répartition de l’élanion s’est encore accrue. Même si tous les points de la carte suivante ne sont pas des nidifications, on voit que la progression dans l’Ouest de la France est sensible mais la Bretagne est délaissée (beaucoup d’ornithologues bretons n’utilisent pas la base de données Faune-France). Il est possible que ce rapace évite la Bretagne pour son climat comme le Rossignol philomèle pratiquement absent de cette région.
Notre petit rapace a une répartition mondiale avec 4 sous-espèces entre l’Afrique du Nord et la Nouvelle Guinée. La sous-espèce qui nous intéresse est répartie entre l’Afrique du Nord, la vallée du Nil, la Péninsule Ibérique et la France.
La première nidification en Europe date de 1864 au Portugal. Quand Paul Géroudet (grand ornithologue suisse) écrit son livre « Les rapaces diurnes et nocturnes d’Europe » dans les années 60, l’élanion ne niche que dans la moitié Sud du Portugal. L’Espagne a été colonisée et nos premiers individus sont venus sans nul doute de la péninsule ibérique. Le réchauffement climatique naturel est-il la cause de cette expansion ? On peut le rapprocher de l’expansion des Hérons garde-boeufs qui se sont répandus en France en quelques dizaines d’années.
L’élanion produit plusieurs nichées par an, trois voir quatre. La première ponte peut avoir lieu en mars et la dernière en septembre. 3 ou 4 œufs sont pondus et couvés pendant 25/27 jours. Les jeunes volent vers 30/35 jours et sont nourris encore pendant deux semaines alors que la femelle entreprend une deuxième ponte et couvaison. Bien que la productivité en œufs soit forte, le nombre de jeunes volants est plus faible. Les conditions météo pluvieuses du début de printemps et d’automne sont souvent fatales pour les jeunes. Pour mémoire nous avons observé en Vendée en octobre 2020, un jeune presque volant mort dans le nid, de fortes pluies avaient précédé l’observation. Néanmoins, le nombre de jeunes produits participe à cette expansion. Encore un peu de patience et cet oiseau deviendra commun mais passerons-nous autant de temps à le rechercher ?
En attendant cette banalisation, profitons en et réjouissons nous, il est si rare de voir une espèce aviaire en expansion.
Jean-Luc Lebleu