Mammifères

Monsieur Fiber fait de la spéléologie, 19 septembre 2022

Pat, mon vieux compagnon de spéléologie, nous rend visite avec sa douce Anne-Marie pour quelques jours. Bien sûr nos sorties auront un parfum d’argile souterraine. En route vers les ténèbres…

Nous partons pour les gorges du Tarn où nous allons faire découvrir à nos amis la résurgence* de l’Ironselle à laquelle j’ai déjà consacré un article le 23 novembre 2021. Puis nous partons vers les Baumes Basses toujours sur le Tarn entre les Vignes et la Malène, côté Sauveterre. Nous pique-niquons sur les galets du Tarn et allons voir la résurgence de Fontmaure à quelques centaines de mètres. A cette période d’étiage l’eau doit être très basse et il est peut-être possible d’y pénétrer. Effectivement pas d’eau visible. Les dépôts de cailloux à l’entrée ou plutôt la sortie, si on suit la logique de circulation des hautes eaux, sont impressionnants par leurs quantités et leur propreté.

Aux époques préhistoriques ou même gauloises, les sources étaient considérées comme des divinités et des cultes y étaient rendus. Nous nous glissons aussitôt en suivant la pente vers les entrailles de la divinité.

Pas de casque, attention au crâne qui commence à se dégarnir

L’arrivée se fait sur une petite laisse d’eau et, surprise, des poissons s’y débattent, dérangés par notre présence.

Je n’ai pas envie de me mouiller !
Coincé depuis l’étiage
Chevesne ou Vandoise rostrée ?

J’attends Pat qui est parti au delà de la laisse d’eau dans une reptation sans se mouiller, encore agile malgré l’âge le bougre !
– J’ai trouvé un crâne avec des dents oranges ! s’écrie-t-il.
– Sans doute un castor, rapporte-le, on l’identifiera à la maison, lui répondis-je.

Crâne de castor

Ce castor, est-il venu mourir dans la résurgence ou a t-il été apporté par une crue du Tarn quand la résurgence était en étiage ou s’est-il fait surprendre par une crue souterraine ?

Finalement nous ne trouvons pas de suite, l’eau doit arriver par les trémies qui bouchent toutes les diaclases* et des joints de strates* impénétrables. Retour à l’air libre.

Joint de strates impénétrable
Fontmaure quand elle « crache ». Sur la photo suivante Anne-Marie est assise sur le bloc indiqué par la flèche
Nous attendons la crue !

Le lendemain nous allons visiter la résurgence de la Jonte aux Douzes.

Joli panneau mais pas facile à voir en roulant en direction de Meyrueis

Aux périodes d’étiage, l’eau du cours aérien de la Jonte disparaît sous terre par des pertes plus ou moins visibles et ressort plusieurs kilomètres plus loin en amont des Douzes, hameau où se situe le seul hôtel restaurant des gorges entre le Rozier et Meyrueis.

Lit de la Jonte à sec

La résurgence est pénétrable par un porche mais à cette période l’eau ne sort pas à cette hauteur. Il faut descendre quelques dizaines de mètres en aval pour voir l’eau surgir de plusieurs griffons*.

Porche de la résurgence des Douzes en octobre 2021
Porche de la résurgence des Douzes en novembre 2021
Griffon sortant d’une fente

La galerie d’entrée est très belle, on marche sur une strate épaisse creusée en auge et les côtés sont un mille-feuilles de strates plus ou moins épaisses.

Vue sur le porche depuis la galerie d’entrée

Comme je sais qu’au bout d’une quinzaine de mètres on tombe sur un petit bassin profond, j’ai emmené mes waders qui me servaient au marais de Goulaine !
La suite du réseau se prolonge par une escalade de 4m ou la plongée de deux siphons. Pat ne peut s’empêcher de grimper pour aller découvrir rapidement une partie de la suite du réseau.

Ai-je pied ?
J’ai pied mais méfiance !

Nous ne sommes pas les seuls à visiter la grotte. Sur un bloc qui émerge de l’eau un castor s’est fait un reposoir en déchiquetant des branches.

Au premier plan, le gîte du castor, au fond Anne-Marie très chic en rose !
Un lit de copeaux souillés par une crue

Le castor est connu en France pour creuser des terriers, plus rarement des huttes contrairement à son cousin canadien mais il peut aussi occasionnellement occuper un gîte de plein air et des cavités naturelles des gorges calcaires.

Il n’y a pas de « crayon » frais mais le lit est relativement propre. Quand nous sommes venus à la mi-août une petite crue ne nous avait pas permis d’aller jusqu’au lac, c’est peut-être ce niveau d’eau qui a souillé son gîte.

Dans le livre de Pierre Cabard « le Castor » de la collection les sentiers du naturaliste aux éditions Delachaux et Niestlé, l’auteur écrit : « Dans les zones rocheuses, le Castor utilise des cavités naturelles du type abri sous roche ou grotte, s’installant parfois au delà du siphon, sur une plateforme où est déposée un peu de litière ».

En ressortant je découvre des crottes de castors vers l’entrée. Ce sont des boules de sciures peu compactes, très friables. C’est assez rare d’en trouver surtout sur les rivières au courant rapide. La première fois que j’en ai trouvé c’était avec Pat en Ardèche dans des gours du canyon du ruisseau de Louyre.

Ramassage des crottes
Rien de plus réjouissant que des crottes pour un naturaliste !

Le Castor mange ses crottes !
Pouark !
Mais pas n’importe lesquelles…

En effet, au premier transit, le glucose des écorces de bois n’est pas assimilé totalement malgré le travail des bactéries de son cæcum, expansion du gros intestin. Les excréments issus de ce premier transit sont appelés cæcotrophes et sont chargés d’une quantité importante de bactéries. Le Castor assis recueille les crottes sur sa queue étalée devant lui et les avale. Elles se mélangent aux aliments déjà présents dans l’appareil digestif pour un deuxième transit. Cette sorte de rumination est appelée cæcotrophie. Bon appétit !
Les lapins, les lièvres, les marmottes, les koalas sont aussi adeptes de la cæcotrophie.

Jean-Luc De la Motte-Beuvron

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