Et ce fut le bon affût, 25 août 2022

5h45 du matin, que se passe-t-il ?
– Allez debout, c’est l’heure !
– Ah oui, c’est l’affût aux loutres…

Moi j’aime les affûts mais le soir. 40 minutes avant de partir, il va encore falloir courir, je n’ai rien préparé.

Appareil photo avec le zoom, le pied et sa rotule, filets de camouflage, chapeau, gants, masque noir, gourde, téléphone sur mode avion, lampes, siège, c’est bon je suis prêt.
Nous rejoignons notre amie Lily au bord de la route dans les gorges de la Jonte. Elle va nous faire découvrir un chemin qui nous mènera au bord de l’eau où elle observe loutres et castors.

Cécile et Lily s’installent, moi je vais un peu plus en aval, je choisis un endroit avec un plan d’eau calme encadré par deux petits rapides. J’installe mon pied, monte l’appareil vers l’aval et accroche mes filets de camouflage, je suis prêt. Finalement vers l’amont des branches me gênent la vue, tant pis l’heure avance. Un Cincle plongeur passe devant moi et se pose sur les galets du rapide de l’aval. Je fais des photos de loin juste pour régler l’exposition. J’espère que la loutre va attendre que j’ai une vitesse d’obturation plus rapide.

Dans le mot affût, il y a attente mais ce n’est pas désagréable quand on est bien installé. 7h22, une loutre est à l’aval, je ne l’ai pas vue passer le rapide, je regardais à l’amont bien sûr. Elle remonte l’eau calme en plongeant et reste peu à la surface. Mon emplacement n’est pas idéal, je suis obligé de déplacer mon pied et les feuilles me gênent, j’aurais mieux fait de m’en occuper avant.

La loutre pousse des cris perçants et va passer le rapide de l’amont. Je fais deux photos nulles bougées.

Le galet au milieu de l’eau c’est le dos de la loutre qui plonge !

Belle occasion bien ratée ! Avec de la chance, elle redescendra plus tard. Je coupe les branches qui me gênent et m’installe en visant l’amont.
Pas grand chose à voir ou à écouter, à part le bruit de l’eau.

Plus tard, elle réapparaît à l’amont et chasse le long de ma berge, c’est fou ce qu’elle est vive et rapide.

Alors que se cache-t-il sous cette pierre ?

Elle vient d’attraper une écrevisse et la croque au bord de l’eau.

On voit la queue de l’écrevisse sortir de la gueule
C’est bon mais c’est dur !
Ah, les belles bacchantes !

Coupez les moustaches d’une loutre et elle devient aveugle.
C’est une formule pour dire que ses moustaches lui servent à détecter ses proies sous l’eau cachées sous les pierres ou les rochers. Quand les loutres pêchent la nuit ou pendant les hivers des zones boréales la vue n’est d’aucune utilité ainsi que dans les eaux troubles des marais ; c’est cette perception tactile qui devient primordiale.

Dans le livre de Pascal Etienne « la Loutre d’Europe », l’auteur cite le cas d’un mâle capturé avec des yeux opaques, donc aveugle, qui était en bonne forme physique, il était donc capable de s’alimenter normalement.

« Ma Loutre » a une tête de loutron, les cris que j’ai entendus à la première observation me font penser que c’était un jeune appelant ou sa mère ou un individu de sa fratrie. Je ne trouve pas qu’il a une grande taille même si je ne suis pas un spécialiste de ce mammifère.

Les bonnes choses ayant une fin, mon loutron repart en plongée mais je n’arrive pas à le suivre malgré quelques bulles crevant la surface.

Je retrouve une loutre nageant vers l’aval.

En examinant la photo, je trouve l’animal bien long et sa truffe moins noire que l’individu précédent, est-ce un adulte ? Je me fais peut-être des idées (Lily en regardant la photo penche aussi pour un adulte).

J’espère que mes compagnes postées en amont ont pu voir quelque chose.

J’entends comme un sifflement et je vois un chien apparaître suivi de son maître, encore heureux qu’ils ne soient pas arrivés 20 minutes plus tôt, on se croit tranquille mais non. Le chien passe à deux mètres de moi mais ne me sent pas. Le maître est à 5 mètres regarde la rivière sans me voir, il passe comme le chien sans me repérer également, il est suivi d’un petit chien bas sur pattes. Le jeune chien vient me voir de près mais ne sait pas quoi penser de la masse que je représente, il n’aboie même pas !
Mon camouflage était donc parfait pour la loutre, le chien et l’homme.

Un petit sifflement, ce sont mes compagnes d’affût qui me cherchent. Elles ont vu deux loutres qui poussaient des cris perçants puis une autre est venue pêcher et croquer une écrevisse à leurs pieds à deux mètres. Je n’aurais même pas pu la photographier à cause de la mise au point trop lointaine du zoom !

Lily m’a donné la permission de pouvoir diffuser un extrait des séances qu’elle a filmées ce matin. Merci !

Lien de la vidéo de Lily : https://drive.google.com/file/d/1ROlEHP-503qRAJfwzWFFmVWfMJL6dsIX/view?usp=sharing

Nous remontons vers la route en suivant des sentiers en montagnes russes, longeant de près ou de loin la Jonte, repensant à ces scènes, conscients d’avoir vécu un grand moment dans nos vies de naturalistes. Etre ou ne pas être au bon endroit au bon moment, telle est la question.

William Lacatiche

Le livre sur la Loutre aux éditions Delachaux et Niestlé

lien de la vidéo de Lily : https://drive.google.com/file/d/1ROlEHP-503qRAJfwzWFFmVWfMJL6dsIX/view?usp=sharing

Jean-Luc