oiseaux

Sale temps pour les agneaux !

Chaque année, le Parc National des Cévennes propose un grand nombre de sorties sur tout son territoire. Dans le programme 2021, une sortie a particulièrement attiré notre attention : « la grande histoire des vautours ».

Nous réservons aussitôt car cette sortie exceptionnelle est rarement proposée. Nous allons donc assister en direct à une « curée », c’est à dire le dépeçage par les vautours d’une brebis morte (curée : terme de vénerie, la part que l’on donne aux chiens après le dépeçage de l’animal tué) .


Depuis le début du pastoralisme au Néolithique, les grands rapaces charognards ont accompagné les hommes et leurs troupeaux de moutons.
Dès -4000 ans avant JC, les hommes ont défriché ces grands plateaux que forment les différents « causses des Cévennes » : Causse de Sauveterre, Causse Méjean, Causse Noir et Causse du Larzac ainsi que des petits causses satellites. Ces défrichages ont donné des parcours à moutons sur les parties les plus sèches et rocailleuses et à des champs de céréales dans les dépressions appelées « dolines », où s’accumule l’argile de décomposition du calcaire. Le Tarn, la Jonte, la Dourbie ont creusé dans ces couches calcaires des gorges aux escarpements et parois propices à la nidification des différents vautours.

Pendant des milliers d’années la relation hommes, brebis et grands rapaces charognards a permis à ces derniers de prospérer en débarrassant les hommes des animaux morts, évitant ainsi la propagation d’épidémies. Au fil des derniers siècles, la relation au monde sauvage a changé, le loup est devenu ennemi public. La modernisation des armes à feux a accéléré l’extermination de ce prédateur. Pour faire disparaître les loups « définivement », les éleveurs ont utilisé la noix vomique, c’est à dire de la strychnine.
Deux pharmaciens français isolèrent la strychnine en 1818. Elle est obtenue en râpant de la noix vomique qui est bouillie dans de l’alcool, puis distillée pour obtenir une liqueur. Celle-ci est cristalisée pour être utilisée plus facilement.
A faible dose, la strychine est un médicament, à forte dose elle devient létale.
En empoisonnant des cadavres de bétail, les derniers loups furent éliminés mais aussi les vautours qui mangeaient ces appâts. Des chasseurs venant des villes ont trouvé dans les grands vautours, des trophées à la mesure de leur ignorance et de leur bêtise.

Retour de chasse au Pays Basque

Ensuite, comme il n’y avait plus les vautours pour éliminer les carcasses des animaux domestiques, les éleveurs ne trouvèrent pas mieux que de jeter les cadavres dans les avens (gouffres) s’ouvrant sur les causses. Le calcaire ne filtre pas les eaux d’infiltration car cette roche est percée d’une multitude de failles, de mini-galeries qui conduisent directement l’eau vers des collecteurs qui aboutissent aux nappes phréatiques kartisques. Les risques de contaminations n’étaient donc pas négligeables avec les sources ou les résurgences situées dans le fond des gorges où la population des vallées se servait en eau potable. On inventa alors l’équarissage obligatoire.

Quand le Fond d’Intervention pour les Rapaces (FIR) se mit en tête de réintroduire les Vautours fauves dans les Causses, il fallait aussi leur trouver de quoi se nourrir dans la nature une fois relâchés. Avec l’autorisation des services sanitaires, vétérinaires et autres, il se mit en place un service de ramassage de carcasses ovines auprès des éleveurs qui dans un premier temps étaient déposées sur le charnier de Cassagnes auprès des volières qui servirent aux premiers lâchés d’oiseaux dans les années 1970-80. Quand le nombre de vautours libres augmenta, le charnier de Cassagnes ne suffisait plus. Des placettes de dépose de carcasses furent donc créées par de nombreux éleveurs toujours sous le contrôle des services sanitaires et vétérinaires.

Notre rendez-vous a lieu à 14h30 devant la charmante église de St Pierre des Tripiers. Ce nom serait-il lié aux vautours qui vont étriper un cadavre de brebis ? pas du tout. En fait, « tripiers » est due à la déformation, par les cartographes parisiens, « d’estrèpes » qui vient du verbe « estréper » : défricher.

Eglise de St Pierre des Tripiers et le gîte du Pailleron

Nos accompagnatrices du Parc et de la LPO Grands Causses (LPO GD) nous présentent les quatre espèces de vautours présentes sur les causses et, après avoir attendu un participant en retard qui s’est définitivement perdu sur le Méjean, nous partons sans lui vers Cassagnes.

A l’entrée du chemin, nous attendent Robert de la LPO GD et un agent du Parc dont j’ai oublié le nom. Encore un petit laïus sur leurs rôles et nous partons à pied vers le lieu du « spectacle ». Les vautours connaissent le pickup de Robert et plusieurs sont déjà perchés sur un rocher à attendre leur pitance. Ils sont à 20m de nous, incroyable !

Sur un rocher dominant le pickup de Robert
Un bec pour découper
Encore propre avant la curée

Aujourd’hui, ce sont une vingtaine d’agneaux de petite taille qui seront offerts aux rapaces. Aussi, d’après Robert, la curée sera rapide. Il attend que nous arrivions sur les deux plateformes rocheuses équipées de balustrades d’où nous pourrons assister « au spectacle ». De toutes parts, des petits points grossissent en se dirigeant vers le charnier. Les vautours fauves se pressent non pas pour le spectacle mais comme acteurs.

Sifflement des rémiges dans l’air !
Celui-ci est encore sale d’une curée précédente

Sur un rocher à proximité, d’autres vautours sont déjà arrivés et la fébrilité s’empare d’eux.

Les carcasses sont accrochées à une tyrolienne puis lâchées pour atterrir sur le lieu de la curée. Robert court alors pour récupérer les agneaux afin de les disperser, car les rapaces les plus hardis sont déjà à ses basques et commencent déjà à déchiqueter les agneaux !

Robert et ses « abonnés »

Robert disperse les carcasses, mais il n’y en aura pas pour tout le monde.

Robert expert en lancer d’agneau

Le flux de vautours est incessant et les carcasses ne sont bientôt plus qu’un souvenir.

C’est l’affluence ! Combien sont-ils ?
Mêlée générale

Au milieu de cette multitude, deux ou trois Vautours moines tentent de s’imposer mais il ne reste plus grand chose à se mettre sous le bec.

le Vautour moine est le vautour le plus sombre de la bande
le Vautour moine caussenard bagué FLA

Petit à petit, les oiseaux repartent laissant de nombreux congénères le ventre vide. Une silhouette en vol attire l’attention de l’agent du Parc : c’est un gypaète qui, ayant vu l’agitation, se rapproche sans doute pour grapiller quelques os. Il s’agit d’Aven : une femelle née en mars 2020 dans un centre d’élevage bulgare, relâchée en juin 2020 dans les gorges voisines du Trévezel..

La silhouette caractéristique d’un gypaète
Aven au plumage « passoire » !

Après quelques tours d’approche, Aven se pose sur un rocher près du charnier. Cerise sur le gâteau !

Aven attend notre départ pour descendre sur les restes de la curée

Difficile de quitter le site même si les vautours sont presque tous repartis mais de grosses gouttes d’une pluie soudaine mettent fin à notre sortie.

Aujourd’hui, le charnier de Cassagnes sert aux ornithologues de la LPO Grands Causses et aux agents du Parc National des Cévennes à suivre les populations de vautours, par la lecture des bagues posées aux tarses de certains oiseaux. En général ce sont des « poussins » bagués au nid. Ces lectures d’identification permettent de connaître la longévité des oiseaux, le taux de survie des jeunes et des adultes, les apports d’oiseaux « étrangers » venant de colonies espagnoles, pyrénéennes ou alpines.

Bague blanche : programme de baguage français
Vautour fauve sponsorisé par la Française Des Jeux
Bague bleue : programme de baguage espagnol
Autre forme de marquage : une plaque alaire d’identification

Jean-Luc